Les millésimes se suivent mais ne se ressemblent pas. Si 2021 n’appartient pas à la catégorie des solaires comme le sont 2020 et 2018 ou des magnifiques 2016 et 2019, il n’en est pas moins un millésime qui mérite d’être dans la cave de tout bon connaisseur ! Si l’on devait le comparer à un prédécesseur, on serait tenté de le classer au-dessus des millésimes 2014 et 2017 auxquels il s’apparente par certains aspects tout en lui conférant une place à part tant ses nuances lui sont propres. Mais surtout, 2021 nous rend fiers et optimistes par sa qualité. Bien sûr, ce millésime de vigneron aura mis nos nerfs à rude épreuve en raison de la forte pression exercée tout au long de l’année par des conditions climatiques laissant peu de répit aux viticulteurs, mais le travail, l’expérience, les soins apportés à la vigne et au chai ont permis de réussir ce millésime de tri et de patience. Épargné par le gel du printemps et par la grêle, Saint-Estèphe tire une fois de plus son épingle du jeu avec un rendement identique à celui de l’an passé. Grâce à ses qualités naturelles parmi lesquelles ses terroirs drainants et sa grande proximité avec le fleuve, auxquelles s’ajoutent celles des viticulteurs et des œnologues qui bénéficient d’une connaissance et d’une technicité grandissantes, 2021 se révèle être un millésime d’équilibre présentant une matière dense, de la fraîcheur et un beau fruité. En ce début d’année 2022, après deux ans d’une crise sanitaire impactante, nous nous préparons à une nouvelle épreuve liée aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine. Dans cette situation incertaine, nous continuerons à porter haut et fort le message de nos vins, symbole de civilisation, de convivialité et d’échanges culturels.
Jean-François Delon, Président du Syndicat Viticole de Saint-Estèphe.
UN HIVER ALTERNANT DOUCEUR ET FRAÎCHEUR
Le commencement de l’année est humide et rythmé par l’alternance des périodes fraîches et douces. Les mois de janvier et février affichent un taux de pluviométrie supérieur à ceux de 2020 et 2019 avec 180 mm de pluies tombées sur ces deux mois sans toutefois dépasser celui de 2018 largement supérieur à la moyenne.
UN PRINTEMPS QUI SOUFFLE LE CHAUD ET LE FROID
Les températures quasi estivales de la fin du mois de mars favorisent la sortie des premiers bourgeons notée tout début avril, soit légèrement en avance par rapport à la moyenne trentenaire, cependant pas autant qu’en 2020 qui fut très précoce de 8 à 10 jours.
Alors que le débourrement se déroule dans une relative homogénéité, début avril connait un épisode de gel d’une rare intensité qui frappe l’ensemble des vignobles français. Des températures particulièrement froides en dessous de -5°C s’abattent sur Bordeaux dans les nuits du 7 et 8 avril. L’ensemble des appellations du Médoc est touché mais les degrés d’intensité sont variables. A Saint-Estèphe, si quelques rares parcelles situées dans les terrasses basses ont pu être affectées par le gel, l’ensemble du vignoble, qui bénéficie de sa grande proximité avec l’estuaire, est épargné.

UNE FLORAISON PERTURBÉE
Mai est marqué par une fraîcheur des températures et de nombreuses pluies. Toutefois la pleine fleur est notée début juin se situant dans la moyenne des trente dernières années. 10 jours d’un temps sec et ensoleillé jusqu’au 16 avril sont suivis de pluies et d’orages. Les risques de grêle sont importants et quelques parcelles sont touchées. Là encore l’appellation dans son ensemble est épargnée. L’autre danger pour les viticulteurs vient des pluies incessantes qui font craindre la coulure et le millerandage et par conséquent les menaces de développement du mildiou. L’inquiétude est vive quant au risque de perte de volume de la future récolte.
UNE VÉRAISON LENTE
Cette crainte se concrétise en raison du temps mi-figue mi-raisin tout au long du mois de juillet. Alors que les raisins atteignent le stade ‘fermeture de grappe’, les beaux jours estivaux alternent avec les jours pluvieux. Comme il fallait s’y attendre l’excès de chaleur et d’humidité provoque des attaques de mildiou sur feuilles. Par conséquent la véraison à l’image de la floraison s’en trouve ralentie et présente une certaine hétérogénéité d’une parcelle à l’autre et au sein même d’une parcelle. Cependant la mi-véraison observée le 12 août connait une accélération vers le 15 août grâce aux fortes chaleurs.

UNE ANNÉE DE VIGNERON
Dans la vigne, la pression est intense avec un risque de développement potentiel du Botrytis obligeant les viticulteurs à redoubler de vigilance. Ils le savent bien, leur investissement en matière de pratiques culturales et prophylactiques sera déterminant pour assurer la qualité de ce millésime. Tout est mis en oeuvre pour faciliter une maturation complète en optimisant les travaux culturaux comme l’effeuillage. Août plutôt sec et très ensoleillé en fin de mois, permet de rattraper le retard et favorise la maturation tandis que les pluies de la mi-septembre donnent de belles baies juteuses.

DES VENDANGES TARDIVES
Attendre la maturité phénolique pour faire le meilleur tout en gardant un œil sur la météo et gérer le risque du mildiou, tel est le mot d’ordre de chaque viticulteur. Heureusement l’ensoleillement et le temps sec et frais dans la première quinzaine d’octobre viennent parachever la maturité du Cabernet et transcender son potentiel qualitatif. Ces conditions favorables permettent d’attendre le moment idéal pour vendanger chaque parcelle à la bonne maturité. Les vendanges débutent fin septembre/début octobre par la récolte des Merlots suivie de celles des Cabernets vers la mi-octobre.

UN VIN ÉQUILIBRÉ
Les premières dégustations sont marquées par une belle maturité et un équilibre alcool-acidité différent des années précédentes. Les Merlots sont frais, bien structurés et aromatiques. Quant au Cabernet récolté sous un temps idéal, il est le grand gagnant de cette année avec sa couleur sombre et ses arômes d’épices et de petits fruits noirs magnifiés par des tanins bien présents mais souples. Certes le millésime fut éprouvant mais le travail des viticulteurs et des œnologues pour extraire le meilleur permet de constater avec satisfaction la grande qualité du 2021. La singularité climatique qui le caractérise lui confère des nuances particulières, une identité propre qui le rapprocherait des millésimes anciens de par son équilibre acidité-alcool mais cependant doté d’une plus grande maturité.
Les vendanges 2021 à la loupe,
Récit d’un itinéraire mouvementé
Laboratoire Rolland & associés
Le début du cycle végétatif de cette année 2021 aura été pour le moins mouvementé. Mais l’heureuse climatologie de cette arrière-saison a offert une formidable occasion d’achever avec panache ce millésime qui restera gravé dans les mémoires vigneronnes.
Un mois d’août incertain
La mi-août signe la phase finale de coloration des raisins, avec un déficit de chaleur et de luminosité important depuis la fin du mois de juin. On note alors une absence totale de contrainte hydrique à cette période. Les raisins, comme de nombreux autres fruits, sont encore fades et aqueux fin août. La pulpe déborde d’acidité et d’eau ; les peaux manquent de goût.
Le stress de la récolte des premiers raisins rouges mi-septembre
Dix jours d’instabilité marquent la mi-septembre. Il pleut régulièrement et les températures sont élevées pour la saison.
Le travail viticole, mené tout au long de l’année, paye. Les raisins sont aérés, et les vignes, parce que leur vigueur est maîtrisée, résistent et supportent ces quelques jours instables. Il est vrai qu’ensemble nous cherchons absolument des raisins avec du goût, des tanins séduisants, qui ne se laissent pas emporter par une acidité trop agressive.
Du sang froid en septembre…
La quasi-totalité du mois de septembre a été chaud, avec un pic de température jamais rencontrée depuis 1911.
Le botrytis fréquent, mais de très faible intensité dans le vignoble, ne s’est finalement pas développé. Preuve indiscutable : la saison des cèpes tant attendue en septembre n’a pas démarré !
Les premiers merlots de Saint-Estèphe sont vendangés fin septembre. Il y a toujours deux dates-clés : celle où on commence à vendanger, et celle où on achève la récolte. Et cette année, le rythme de ramassage a été très saccadé, exigeant dans la prise de décision tantôt la rapidité, tantôt la retenue.
A cette période, 2021 s’annonce comme un millésime typiquement océanique, et non pas solaire comme les derniers que nous avons vécus. Il n’était pas question d’aller chercher la fraîcheur et l’énergie nécessaires pour équilibrer une puissance qui aurait été naturellement présente. Au contraire, les raisins débordaient d’acidité et souffraient d’un manque de concentration. Il a fallu ainsi du temps pour dépasser la note végétale et attendre l’indispensable expression aromatique du fruit.
…. Et un sacré coup de chance en octobre
Il faut dire que la météorologie du mois d’octobre nous a offert une chance incroyable avec des journées chaudes à plus de 20°C qui furent salutaires. Les raisins ont pu perdre leur surplus d’eau, et ont gagné en concentration. Le soleil et la chaleur ont gommé les notes herbacées et végétales que nous pouvions observer encore quelques semaines plus tôt. Les peaux se sont affinées ; les pépins ont perdu l’amertume pour gagner en maturité.
Les cabernets francs et sauvignon se sont ainsi récoltés avec le sourire et sous le soleil d’octobre.
Au chai, on se méfie de la maturité qui n’est pas excessive. On a cherché à reconcentrer les jus, on a travaillé des extractions très douces au début des fermentations. On a joué sur des macérations post- fermentaires : on a laissé infuser et on a construit la bouche en faisant varier les durées d’infusion et les intensités de lessivage des marcs.
Ce qui nous guide alors – pour ces vins qui n’auront pas d’incroyables densités, c’est la volonté de conserver le charme du fruit que nous avions en goûtant les raisins en octobre. On souhaite trouver une structure tannique charmeuse, sans chercher une puissance qui n’était pas présente naturellement.
Un millésime d’audace et d’engagement
2021 aura clairement été un millésime de courage, d’engagement, d’audace. Il aura fallu prendre des risques – sans doute un peu plus que ces dernières années, et se montrer patient pour résister à la tentation de tout ramasser, au moment des pluies de la fin septembre.
C’est aujourd’hui un pari gagné car les 2021 sont des vins qui allient le velouté dans la texture, le plaisir et la fraîcheur typique des Bordeaux d’aujourd’hui.
O.D.G de Saint-Estèphe
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.